
Mitia
"Une part profonde de mon intimité"
D’où viens-tu ? Qui est Mitia ?
Né d’une mère russe et d’un père français, je m’appelle Dimitri Repérant. Mitia est l’un des surnoms russes de mon prénom : c’est comme cela que l’on m’appelait tout petit, et encore aujourd’hui dans mon cercle intime.
Pourquoi alors utiliser ce surnom comme nom d’artiste ?
Ce surnom parle donc de mon intimité, et c'est en signant mes premières peintures qu'il est entré dans ma sphère artistique. Lorsque j’ai commencé à peindre, j’étais encore en formation pour devenir comédien et chanteur lyrique. Dans la pratique de l’art vivant, j'avais alors la sensation que la notion d’intime n’était pas la même. C’est un art qui se partage, qui n'a pas comme finalité d'être fixé sur un support et qui n’existe que face à d’autres dans le cadre de la représentation : on sait qu’on est vu, et j'ai toujours eu le sentiment que cette part d’intime et de liberté profonde se perdait en partie. En débutant la peinture, j'ai trouvé un médium où j'avais enfin toute la liberté d'exprimer mes émotions les plus intimes, Mitia m’est donc venu tout naturellement pour parler de cette part créatrice en moi, la plus secrète. Puis au fil du temps, Mitia est devenu mon avatar d'artiste.
D’où vient cette envie de peindre ? Comment tu en es arrivé là ?
Un jour, des images sont remontées de mon enfance… peignant avec ma mère et ma grand-mère maternelle. Souvenirs très clairs de joie simple, l’excitation devant du papier blanc, choisir les couleurs, de la gouache, des pastels. Ces images se sont plantées là : comme une invitation à re-peindre, à me re-plonger dans ces mondes – concrets, abstraits – qui se créaient là sur cette page blanche. Quand on met l’enfant, face à une feuille blanche, avec de la peinture, il s’amuse, s’exprime librement, intuitivement, avec le peu de technique qu’il a à sa disposition, il retourne à cet état presque primitif de l’art, qui nous est resté.
À cette époque, je m’intéressais particulièrement à la scène artistique parisienne. J’allais voir beaucoup d’expositions dans les musées et les galeries, je rencontrais des artistes. Après une rupture amoureuse, en rentrant d’une période de voyage, j’ai eu besoin de ce rapport à la matière plastique, de revenir à cette primitivité, à cette expression libérée. J’ai donc acheté du matériel, et je suis retourné à cette expérience d’enfant.
Quelles sont tes inspirations ?
Quand je respire mes inspirations sont la plupart du temps inconscientes, il en va de même dans mon art. Cependant si je me concentre sur celles qui sont conscientes et les plus marquantes, elles varient en fonction du médium, et appartiennent également à d'autres champs que ceux de l'art, comme la spiritualité ou encore la publicité.
Pour l’art pictural, et dans une perspective uniquement picturale, je peux dire que j'ai d’abord tiré mon inspiration - ou impulsion créative - de mon entourage, ma mère, ma grand-mère, les artistes russes (comme William Bruï) qui s’exposaient dans l’appartement familial. Ensuite et plus spécifiquement j’ai été profondément influencé par le travail de Gerhard Richter, Simon Hantaï, Hermann Rorschach (le célèbre psychiatre du test) et de façon moins directe par celui de Matisse et les fauves pour la puissance de la couleur, ainsi que les artistes de l’action painting pour la force du geste. Mais hors de la sphère picturale, j'ai tout de suite relié ma peinture à la musique dès ma première série des Opus, puis à la publicité et à la littérature avec la série des Plié-Arraché.
Pour la photographie, je suis un éternel admirateur du travail de William Klein, de Sebastiao Salgado, d’Henri Cartier-Bresson, ou encore Raymond Depardon. Et plus récemment : je suis le travail street-photographique en Noir et Blanc de Mathieu Maury, poésie quotidienne et point de vue avec lequel je me sens en résonance ; ainsi que les superbes séries de Laura Pannack, qui m’émeuvent particulièrement. De même que pour la peinture, la musique est venu s'immiscer dans mes photographies, où chaque titre renvoie à une chanson.
Pour la musique (mon plus grand amour), je ne pourrais tous les citer... Je dirais d'abord l'art choral: la perfection des chorales de Bach, les ensembles des opéras de Mozart, la musique grégorienne, les chants orthodoxes, la pureté du miserere d'Allegri, Pallestrina, ou encore Thomas Tallis. Puis le jazz bien sûr, tous les grands de la voix: Nina Simone, Fitzgerald, Holliday, Sinatra, Chet Baker, Nat King Cole, Mel Tormé, Louis Armstrong, Louis Prima, etc. etc. Et puis aussi Bobby McFerrin, John Lennon et l'indétrônable Michael Jackson etc. etc. etc. - pas mal de morts donc... (rire).
Comment es-tu arrivé à la photographie ?
Des voyages, de la nécessité de continuer à créer et puis aussi parce que c’est un outil facile à transporter. Pour autant la photographie comme moyen d’expression artistique, s’est imposé dans ma vie de manière inattendue. En 2015, je devais participer à un workshop avec deux grands metteurs en scène italiens, organisé à Palerme. Annulé au dernier moment, j’ai décidé d’y aller quand même, seul, pour découvrir la ville. La lumière de Palerme, au scalpel, avec son soleil plombant, ses ombres et contrastes étaient d’une force extraordinaire. J’ai commencé à me concentrer sur ça. Au fil des jours, mon esprit est allé vers cette idée d’une écriture de la lumière, avec une série intitulée « Writing the Light », traduction étymologique du terme « photographie » (du grec ; φωτoς, photos : lumière ; γραφειν, graphein : écriture, dessin). Je faisais déjà de la photo avant, comme tout le monde, avec mon téléphone au jour le jour, ou en voyage, avec mon reflex numérique, mais sans réelle volonté d’en faire une pratique artistique.
Comment qualifierais-tu ton regard de photographe en quelques mots ?
La mission : percevoir et fixer grâce à l’appareil, la beauté que je suis en capacité de capter du monde extérieur. C’est quelque chose d’à la fois très simple et très compliqué, mais toujours spontané. Je ne travaille presque jamais en studio, je préfère la réalité nue, la magie, la poésie dans le quotidien : pas de mise en scène, ou alors un arrêt sur image quand quelque chose happe mon regard - mais pour être franc, mes meilleures photos sont souvent celles qui capturent la réalité, le vivant, sans arrêt (rire).
La peinture et la photographie se nourrissent-elles l’une de l’autre dans ton travail ou considères-tu qu’elles sont indépendantes ?
Je travaille la photographie et la peinture de manière séparée car je ne les pratique pas au même moment. Ce sont deux moyens différents d’exprimer des choses qui sont en moi. Ces deux pratiques sont reliées, mais je ne travaille pas particulièrement à créer de lien, je ne cherche pas de cohérence entre les deux. J’utilise pleinement ces deux médiums pour ce qu’ils sont. Leur lien, dans mon travail, est plus caché. Mais c’est comme pour un individu : devant chaque personne un individu est différent, et va s’exprimer différemment. C’est par la somme de toutes ces facettes, qu’on peut se rapprocher tant soit peu, de ce qu’est l’individu lui-même, de ce qu’il peut/veut exprimer au monde. Face à mes photos et mes peintures, on peut avoir l’impression d’être face à deux artistes différents, deux réalités vraies mais distinctes. Pourtant elles ne se contredisent pas, elles se superposent et constituent (en partie) ce que je suis, et ce que je peux/veux exprimer.
Dans ta peinture, le plus important est-il le processus ou le résultat final ?
Les deux sont très importants mais de manières différentes. Le processus est vivant, et agit sur moi et me transforme. Le résultat final, lui, figé, statique, est le témoignage, la trace du mouvement/de l’émotion passée. Le mouvement présent vient alors du regardeur, le regardeur observant ce passé, devient lui même touché, ému (ou pas), en projetant sur l’œuvre son propre imaginaire. Ce souvenir de l’émotion de l’artiste, de ce qu’il était, c’est la seule chose tangible qui reste dans le temps, et c’est donc elle qui paraît souvent le plus important. Mais le processus, c’est lui, qui transforme l’individu que je suis : même si ce processus en tant que tel disparaît de notre vision, il entre dans la somme de ce que je suis, cet individu visible, cet indi-visible. Ce que j’ai fait, je fais, me fait.
Dans ta peinture, quelle rapport as-tu avec la beauté ?
L’œuvre terminée doit être belle, elle doit me plaire. Si elle ne me plait pas alors cela ne marche pas. Le critère de la beauté, très subjectif bien sûr, est un point essentiel dans mon travail. Néanmoins dans la façon d’aborder le processus je ne cherche pas évidemment la beauté. Il y a une part de hasard, de mystère, d’incontrôlé et d’inconscient parce que la façon dont je peins est spontanée. Le procédé technique (le Plié-Arraché) que j’utilise aujourd’hui révèle une part de hasard qui me plait. J’aime la spontanéité du geste, j’aime avoir un cadre pour le procédé, mais que le résultat me dépasse, soit presque indépendant de moi. Cela me relit à la beauté originelle, au mystère, à quelque chose au-delà de mon humanité.
Comment en es-tu arrivé au plié-arraché ?
Au début je faisais des toiles liées à la musique. En écoutant certains morceaux choisis (principalement des œuvres symphoniques), je peignais en même temps. Cela induisait un mouvement chez moi et donc je créais visuellement l’émotion qui naissait de cette écoute. Cette série des Opus utilise la même technique (à la spatule en bois ou plexiglas) que Gerhard Richter, mais diffère de son travail car mes peintures découlent directement de l’émotion créée en moi par ces œuvres musicales.
Par la suite, j’en suis arrivé à concevoir ma technique en m’inspirant et reprenant d’abord le processus de pliage du test psychologique de Rorschach, très simple et enfantin. La symétrie nous fait voir des choses, fait sortir de « l’abstrait » des images que nous avons en nous, nous permet d’explorer notre imaginaire. J’ai donc revisité ce pliage simple dans la série des Totem.
Puis j’ai découvert le pliage systématique dans le travail de Simon Hantai. Il y a eu (à nouveau) quelque chose d’inattendu, d’accidentel : alors que j’étais dans ce processus de découverte, de pliage, je répétais un spectacle de théâtre, et le metteur en scène et auteur apprenant que j’étais aussi peintre, voulu intégrer cette facette dans le personnage, et un jour nous avons créé une scène avec mon matériel. J’ai donc peint sur une toile pendant la répétition, et pour pouvoir tout remballer à la fin, j’ai plié la toile humide sur elle-même et je l’ai laissée chez moi pendant 1 mois dans un coin. Un jour je l’ai retrouvée et au lieu de la jeter j’ai eu la curiosité de la déplier. Elle était collée, donc je l’ai arrachée, et le résultat m’a conquis, j’ai trouvé génial et incroyable ce qui était sorti de ça. C’est comme cela que le Plié-Arraché est né, au moment où j’étais déjà moi-même en train d’expérimenter le pliage. Il y a donc eu quelque chose de mystérieux dans ce qui m’a amené à faire ça. Je prends cette technique comme quelque chose qui est venu à moi, dont j’ai su capter la valeur.
Interview réalisée en février 2019 par
Axelle Delorme - Commissaire d’exposition